Henry Chéron, le Gambetta normand,
une vie comme un roman !
C'est un homme politique hors du commun et méconnu que nous vous invitons à découvrir cette semaine avec l'ouvrage de Cédric Le Cannelier. L'auteur a mené une enquête historique sur le parcours d'Henry Chéron. Un personnage étonnant et inspirant de la IIIème République qui a occupé de hautes responsabilités sous Clémenceau et s'est révélé précurseur en terme de politique sanitaire et sociale dans le Calvados. Un parcours passionnant que nous révèle l'auteur. Interview.
Officier de police judiciaire, investigateur en matière économique et financière, passionné d'Histoire, Cédric Le Cannelier est originaire de Caen. Il a découvert Henry Chéron fortuitement. "Nous étions en 2014, explique t'il. Je menais, pour le plaisir, des recherches historiques sur les conseillers généraux dans le Calvados, sous la IIIème République. J'ai alors découvert Henry Chéron en constatant qu'on parlait de lui à chaque évocation du canton de Lisieux".
Intrigué, Cédric Le Cannelier mène l'enquête. "A chaque réélection au sein du Conseil Général, son nom apparaissait, comme député, ministre ou sénateur. Il était originaire de Lisieux,. Je me suis rendu compte qu'il y avait très peu d'informations y compris dans le rare livre qui lui était consacré." C'est alors que Cédric Le Cannelier, investigateur dans l'âme, mène une enquête qui durera environ cinq ans. Alors, quand on lui demande de décrire Henry Chéron, il répond d'emblée: "Au premier regard, son physique est atypique. Il a d'ailleurs souvent été caricaturé et on s'est plus focalisé sur son paraître que sur son être. Il semble affable et drôle mais quand on cherche à le connaître, on découvre un travailleur infatigable, un initiateur, un humaniste. J'ai voulu aller au delà de l'image d'Epinal."
Mais qui est vraiment Henry Chéron ? "Un grand pragmatique, un républicain convaincu, un progressiste, un législateur à la fibre à la fois sociale et sociétale. Aristide Briand l'a surnommé le Gambetta normand. L'une des raisons est qu'il était maire de Lisieux, seul bastion républicain du pays d'Auge, région alors conservatrice, légitimiste ou bonapartiste. Henry Chéron a fait en sorte que la République entre dans le Calvados."
Journaliste, avocat, issu de la petite bourgeoisie, le projet électoral du futur maire de Lisieux se résume ainsi: modernisation et agrandissement de l'hôpital, construction d'un établissement scolaire, création d'un théâtre. Un programme audacieux pour l'époque qui allie santé et culture. "On peut aller au delà car il eut aussi l'idée de créer l'Université populaire. Le but était que les gens issus du peuple aient un minimum d'éducation pour pouvoir se forger leur propre opinion." Une association a-politique et a-religieuse avec l'idée de la promotion de l'enseignement supérieur dans les classes populaires. Car Henry Chéron était né dans un univers où vivaient des ouvriers du lin et de la laine.
Une région touchée par la pauvreté
"L'Angleterre avait inventé la machine-outil, ajoute Cédric Le Cannelier, tandis que la France l'avait adoptée un peu tardivement. Une disparité existait entre la Seine Maritime qui l'utilisait et s'était adaptée à l'ère industrielle de la fin du XIXème siècle et le Calvados qui fonctionnait toujours avec des manufactures. Le retard était considérable. L'industrie linière et lainière du Calvados périclitait avec une paupérisation, particulièrement à Lisieux. La pauvreté amenait l'alcoolisation déjà endémique. La crise économique, sociale et sanitaire était très présente.
Henry Chéron va alors mener un combat contre le chômage, mettre en place une aide sociale, une assurance vieillesse et lutter contre l'alcoolisme et tenter d'éradiquer la tuberculose.
Sanatoriums, logements à bas prix... des actions en faveur des démunis
Mais quelles actions concrètes furent donc menées dans la région ? "De 1911 à 1936, il mit en oeuvre de nombreux projets. Henry Chéron voulait que les classes laborieuses puissent se stabiliser en terme sanitaire. Il souhaitait que l'ouvrier puisse avoir une habitation décente avec son petit jardin. Ainsi, il créa les HBM (habitations bon marché), l'ancêtre des HLM. Cela permettait d'aider à lutter contre l'alcoolisme, l'un des fléaux de l'époque aux conséquences sociales et sanitaires. Il mit en place l'oeuvre du bol de lait pour les enfants. Et comme la tuberculose était mortifère, il créa les premiers sanatoriums, l'un dans la forêt de Saint-Sever ouvert en 1931 où furent accueillis 7000 enfants, l'autre à Graye sur mer. Il y eut aussi, en terme d'innovation la création d'un centre anti cancéreux, la maison des naissances à Bénouville pour les femmes qui voulaient accoucher sous x avec une prise en charge du département. Au niveau du maillage social et santé, le Calvados devint ainsi l'un des premiers départements de France en terme d'infrastructure."
"Une femme ni précieuse, ni fleur de salon"
C'était l'optique d'Henry Chéron sur la condition féminine. "Devenu député en 1906, explique Cédric Le Cannelier, il reconstitue un groupe qui ne se consacrerait qu'au droit des femmes. Il le présidait entouré d'une centaine de députés. Ainsi, on a créé un revenu pour les femmes qui étaient en couche. " En parallèle à toutes ces actions, il mit en place un aménagement du territoire avec l'électrification des campagnes.
Novateur, il affirmait aussi que "Punir, c'est guérir" en terme de politique pénitentiaire. "Après avoir été député, il intégra la commission du budget et dut travailler sur les questions pénitentiaires. Il fit un tour de France des prisons et rédigea un rapport qui fut transmis au Ministre de l'Interieur de l'époque, Georges Clémenceau. Ce dernier décida de créer pour lui le poste de sous-secrétaire d'état à la guerre. Henry Chéron fit évoluer l'aspect sanitaire, social et éducatif des prisons. Il voulait qu'on forme et éduque les détenus afin de permettre la réinsertion". Une question toujours d'actualité.
Au fil des années, Henry Chéron occupa de nombreux postes ministériels, agriculture, travail, finances, guerre dans les gouvernements majeurs de Georges Clémenceau et Raymond Poincaré. Les enjeux politiques l'ont empêché d'accéder à la fonction suprême de la présidence de la République.
"La fin de carrière d'Henry Chéron fut difficile, raconte Cédric Le Cannelier. On lui reprocha son honnêteté dans l'affaire Stavisky. Le Maréchal Pétain qui ne le supportait pas le fit démissionner. Henry Chéron revint alors dans le Calvados. Je me demande, ce qu'il aurait fait s'il avait vécu jusqu'à la Seconde guerre mondiale. L'un des derniers articles qu'il écrivit concernait les méfaits du nazisme. Il disait voir le diable en Hitler. On était 1936. Il décéda avant les premiers congés payés."
Henry Chéron, le Gambetta normand de Cédric Le Cannelier. Editions OREP.
Marie-Hélène Abrond
Ph. Clémenceau MH Abrond
Publié le 10 mai 2021
Commentaires
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- 1. Dominica Merola Le 20/05/2021
Bravo pour cet article et nous avoir fait connaître Henry Chéron
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