Michel Drucker, interview "De vous à moi".
56 ans de carrière, des milliers d'heures d'enregistrements archivées à l'INA, des livres, un second seul en scène, tout a été dit ou presque sur Michel Drucker, son enfance, sa carrière, sa vie. Nous avons rencontré celui qui incarne les dimanches après-midis de France 2 pour évoquer "De vous à moi", son nouveau défi de scène. Sans fard et en toute simplicité.
"Pour réussir dans le monde, il faut avoir l'air fou et être sage", disait Montesquieu. Quel lien entre le philosophe et Michel Drucker, me direz-vous. C'est sans doute pourtant là que réside le secret d'une réussite au long cours : oser se lancer et donner du temps au temps. "C'est vrai répond-il quand j'y pense, j'ai été beaucoup plus fou qu'on ne l'imagine quand on voit mon parcours. Au fond, tout ce que j'ai fait a été une folie: quitter ma famille à 17 ans, entrer rue Cognacq-Jay sans diplôme, travailler avec les plus grands, me retrouver à l'antenne à 21 ans ou sur scène à 23 ans devant 3000 personnes avec Johnny... tout ça était une folie." Une folie ou l'envie de se lancer des défis envers soi-même, c'est selon. Une attitude surtout révélatrice d'une volonté farouche de réussir et d'une capacité de travail hors norme pour un métier devenu passion. Lui, l'ancien cancre défini comme "inapte à tout effort intellectuel" pendant une enfance passée dans les brumes de Normandie se surprend encore à avoir de telles capacités de mémorisation.
Une vie de défis
"Quand je songe, poursuit-il, à mes premières émissions radio dans le vent et sous la pluie ou au défi lancé par Pierre Desgraupes (ancien président d'Antenne 2) de créer une émission de divertissement en direct le samedi soir, tout ça aussi était une folie. Champs-Elysées a duré 10 ans et est devenue une émission emblématique."
La scène c'est son nouveau défi: "Je ne voulais pas terminer mon parcours sans savoir ce que vivaient les artistes sur scène. Pour "Seul avec vous", le premier spectacle, je pensais qu'il n'y aurait personne. Les spectateurs étaient là et la captation diffusée récemment sur France 3 a réuni 1 300 000 personnes. Et je suis reparti sur les routes depuis janvier avec "De vous à moi", un concept différent.
Je ne remercierai jamais assez ma fille, Stéfanie mais aussi Richard Valverde et un graphiste de talent Anthony Sebaoun de m'avoir convaincu, par la technologie actuelle qu'on pouvait être deux sur scène sans pour autant qu'il s'agisse d'un hologramme."
Une mise en scène qu'il qualifie de troublante. Un écran lui renvoie, en effet, son image dans les années 80 et l'homme de 2020 répond aux questions de son autre lui-même. "Cela m'amusait, sourit-il, de donner quelques conseils et de répondre à quelques-unes de ses questions." Un exercice techniquement complexe. "C'est une horlogerie incroyable en terme de préparation, de mise en place. Certains mots déclenchent des sons, d'autres des photos, une chanson et les questions de mon autre moi-même sur l'écran".
Au fil de son seul en scène s'égrènent les souvenirs chers au public. Il rappelle, entre autres, l'audace de Thierry Le Luron dans "Champs Elysées" chantant "L'emmerdant, c'est la rose" à deux pas de l'Elysée et son mariage avec Coluche parcourant en calèche les rues de Paris, le passage des Nuls, celui de Serge Gainsbourg avec Whitney Houston, scène devenue culte.
Le public sourit, rit. " Je ne suis pas un humoriste mais un raconteur d'histoires qui interprète de plus en plus comme un comédien, précise t-il. Je ne suis pas un homme de nostalgie mais de devoir de mémoire. Le plus démoralisant, c'est de constater, qu'à notre époque, tout s'oublie. Plus personne ne parle de Brel, Jouvet ou Romy Schneider. Le public qui vient me voir a connu ces monuments et est bouleversé car je leur raconte tout ce qu'on a vécu ensemble."
Une relation privilégiée avec le public.
Il acquiesce lorsqu'on cite Laurent Terzieff qui expliquait aimer le théâtre parce qu'il ne laissait pas de traces, juste des souvenirs, des sensations. "C'est vrai, il y a de l'instantanéïté. On joue et le temps est passé. Sur scène, je suis dans un autre monde, ma bulle à moi, un peu dans le passé et le présent. Quand on change de ville, c'est toujours un public différent, qui vient se souvenir et me dire son affection. J'avais envie de voir les gens de près."
Il s'interroge quand on rappelle encore Laurent Terzieff qui affirmait qu'au théâtre quelque chose d'incommunicable se communiquait avec le public : "C'est un mystère. Je ne me vois pas dans le regard des téléspectateurs ou des spectateurs de la salle mais je sens une communion assez unique. C'est sans doute dû au fait que je suis depuis si longtemps dans la "vitrine" et ai connu autant de générations d'artistes, de politiques." De son public, il parle longuement dans son spectacle. Des scènes vécues, parfois cocasses, "des rencontres qui m'ont marqué" et qui révèlent surtout l'impact, le pouvoir de l'image télévisée sur le grand public. "Ces histoires sont touchantes et je ne veux pas qu'on rie aux dépens de ceux dont je parle".
Et lorsqu'on lui demande la question ultime qu'il aurait aimé qu'on lui pose, lors de notre rencontre, il lance: "Si c'était à refaire ? Je referais sans doute la même chose mais avec des études. Les autodidactes doivent travailler plus que les autres. J'aurais sincèrement voulu être un médecin de famille, un généraliste, en province. Cela aurait fait plaisir à mon père. Mon goût des autres, la façon que j'ai de gérer les relations avec les gens sont proches de celles d'un médecin avec ses patients." Et d'ajouter: "J'adore aider les artistes mais les gens célèbres ne sont pas des vrais gens. Un métier public, être sous le feu des projecteurs, être épié... c'est une mise à niveau quotidienne. Et puis, ce n'est pas parce qu'on est connu d'un pays entier, qu'on a quelque chose de plus que les autres. Au départ, il y a un petit don mais surtout beaucoup de travail. La vraie vie des gens m'intéresse autant, sinon plus que celle des célébrités dont je connais le stress, l'égocentrisme, les fragilités depuis trois générations. J'ai un peu ces pathologies, conclut-il. Au fond, ma plus grande crainte est de me couper des vrais gens."
Marie-Hélène Abrond
Publié le 17 février 2020
Ici, au Studio Gabriel, son antre de télévision depuis 47 ans, il enchaîne les heures de tournage entouré d'une équipe de production et technique fidèle. Photo Guillaume Gaffiot.
Michel Drucker prépare actuellement une spéciale dans laquelle il veut rendre hommage à Jean Ferrat et qui sera diffusée le 23 mars.
Pour toutes les dates de sa tournée, rendez-vous sur ce lien.
Commentaires
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- 1. Angelique Mansola Le 31/03/2020
Félicitations à tous les deux pour cette magnifique interview.
A Marie-Hélène qui a eu l'idée d'interviewer Michel et Michel qui a accepté et a partagé avec nous quelques moments de sa vie personnelle.
Angélique Mansola -
- 2. Jacques Van de Voorde Le 25/02/2020
Bravo pour ce reportage dans lequel j'ai appris beaucoup de choses sur la vie de Michel Drucker. Tout un monument de la palpitante vie culturelle française.. J'ai beaucoup aimé aussi son appel à notre «devoir» de mémoire! -
- 3. Dominica Merola Le 23/02/2020
Bravo Marie-Hélène Abrond pour l'interview passionnant avec Michel Drucker , un homme si attachant et généreux. Un parcours artistique étonnant ,il est toujours proche et authentique avec son public et les gens qui le rencontrent de partout à travers le monde . J'ai adoré l'article,
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