Jean Plantu: "L'Art est plus fort que l'intolérance"
On le croit à Paris alors qu'il est au Pakistan ou au Conseil de l'Europe à Strasbourg pour sa fondation Cartooning for Peace, avec des confrères du monde entier.
Jean Plantu, le célèbre dessinateur du journal Le Monde est un homme pressé... qui prend le temps de s'arrêter. A Sciences Po Paris, pour une conférence, il y a quelques jours, il nous a spontanément proposé de l'y retrouver avant notre interview.
Il arrive, en toute simplicité, tablette numérique sous le bras, proposant aux étudiants de venir dessiner librement sur l'estrade au moment de leur choix. Grande ouverture d'esprit. Et amphi conquis. Sujet: Création et liberté d'opinion. Deux heures d'échanges avec les étudiants, au cours desquelles il évoquera les questions de démocratie et de liberté de la presse dans le monde qu'il arpente. De pays en pays, de collèges en lycées, il intervient inlassablement pour "tisser des conversations" sur la tolérance, la liberté d'expression, les ressentis. Comprendre et se comprendre. Tout un programme ! Une volonté ambitieuse. Mieux: une mission.
Lorsque nous le rencontrons après les applaudissements nourris de la salle, on a envie, d'emblée de connaître mieux le lien initial du jeune Jean Plantureux avec le dessin que beaucoup de gens ignorent. "Mon père était cheminot, dessinateur industriel passionné par son métier. Il aurait aimé que je sois fonctionnnaire, que je fasse Polytechnique. Il a déchanté quand je lui ai dit que je voulais dessiner. Puis, on a fait la paix". Enfant, Jean Plantu le reconnait: "Je parlais peu, m'exprimant par le dessin, même à table. J'aimais dessiner des monstres imaginaires et les livres mais à condition qu'il y ait des images. D'ailleurs, j'étais nul en Histoire mais capable de décrire avec précisions tous les tableaux des ouvrages. Côté Littérature, j'ai vraiment réussi à entrer dans la lecture de Rabelais grâce aux gravures de Gustave Doré. Ce n'est qu'à partir de 30 ans, grâce aux interviews que j'ai commencé à parler vraiment." Depuis, il n'a pas cessé.
"Laisse penser ton crayon", c'est le conseil que Chico Caruso un ami dessinateur brésilien lui a donné un jour, au moment de l'intronisation de Benoit XVI. "C'est vrai, on peut ou non être d'accord avec un dessin.", confie t'il. Depuis 2015 et les attentats qui ont touché Charlie Hebdo, une forme d'auto-censure, s'est installée dans les rédactions. "L'image est plus puissante que les mots, explique Jean Plantu. Plus encore que l'image animée qui ne fait que passer. Imprimée sur papier, elle reste. Dessiner un minaret, une synagogue , s'exprimer sur le voile devient complexe".
A Strasbourg comme à Paris, Jean Plantu a délivré plusieurs messages : "Ne rien lâcher sur ce que l'on pense mais construire des conversations, permettre l'expression des ressentis tout en ayant en tête la culture des autres." Et d'ajouter: "Il ne faut pas baisser la garde, mais trouver le biais qui permet au créateur d'exprimer ce en quoi il croit. Il y a toujours une solution pour dire les choses".
C'est l'une des missions de Cartooning for Peace, sa fondation née d’un événement et d’une rencontre en octobre 2006. Après les réactions sanglantes à la publication des caricatures de Mahomet dans le journal danois, le Jyllands-Posten, Kofi Annan, Prix Nobel de la Paix et Secrétaire général des Nations Unies et Jean Plantu réunissent douze dessinateurs internationaux autour d’un colloque intitulé "Désapprendre l’intolérance – dessiner pour la paix". Objectif: réfléchir à la responsabilité éditoriale des dessins de presse publiés. « Cartooning for Peace » voit alors le jour. Liberté d'expression, soutien aux dessinateurs de presse qui en sont privés dans le monde, lutte contre les préjugés, dialoguer avec le public, mettre en place des actions pédagogiques dans les écoles, ne sont que quelques-unes des missions de la fondation.
Pour Jean Plantu , "il est nécessaire d'apprendre à décrypter les images dès l'école. Elles peuvent être sujet à interprétation en fonction de la culture, de la sensibilité". Alors quand on lui demande son avis pour savoir si les réseaux sociaux, sont fléau ou espace de liberté, il est clair : "Les deux ! Ils peuvent permettre de dénoncer des abus, par exemple, dans des pays où les droits des femmes ne sont pas respectés ou continuer de permettre l'expression de dessinateurs qui sont exilés. Le souci est lorsqu'ils sont organisés par des gens intolérants. Ils parviennent à museler la liberté d'opinion de certains qui n'osent plus devant la trop forte pression."
La mission de Cartooning for peace, reste le respect des cultures et des libertés. "Le dessin permet d'exprimer beaucoup de choses, conclut Jean Plantu. Avec nos feutres, on parvient à créer des ponts entre dessinateurs. A Strasbourg, on a rassemblé chrétiens juifs, musulmans, athées, israéliens, palestiniens, russes ou ukrainiens. Ils ne sont d'accord sur rien mais se parlent. Et c'est ça que j'aime! "
Marie-Hélène Abrond
Retrouvez Jean Plantu et l'actualité 2019, en dessins avec "Drôle de climat" publié au Seuil. Au programme: gilets jaunes, antisémitisme, Brexit, Algérie, Mali, Syrie, Vatican... 176 pages d'humour... réaliste.
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Publié le 9 décembre 2019
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