Daniel Picouly ou la liberté d'écrire

Au festival "Le Livre à Metz", CulturActu a rencontré Daniel Picouly. Auteur de romans à succès, Prix Renaudot en 1999 et homme de télévision, celui qui fut professeur porte un regard aiguisé sur l'éducation et la société. Dans son dernier roman, "Longtemps, je me suis couché de bonheur" publié chez Albin Michel, il nous fait partager son adolescence, période pendant laquelle l'écrivain Marcel Proust sema en lui le germe de l'écriture.

A Orly, en banlieue parisienne, en 1964, dans la Cité Million, la vie n'a rien de commun avec "A la recherche du temps perdu". A l'époque, Daniel Picouly a 15 ans. Onzième d'une famille de treize enfants, son père est chaudronnier tandis que sa mère s'occupe de toute la famille. La littérature semble loin de l'univers familial, modeste. Celui qui a écrit "La faute d'orthographe est ma langue maternelle", confie avoir eu une maman dysorthographique, ce dont il a, il l'avoue bien volontiers, "hérité". "Mon orthographe était, disons, poétique," explique-t-il en souriant. Son roman, hommage à l'école et aux profs, nous révèle la naissance de son amour pour la littérature, à l'adolescence.

Alors, pourquoi Proust ? " L'auteur m'a fasciné, explique t-il,  à cause des conditions dans lesquelles je l'ai rencontré, c'est-à-dire à travers une jeune fille, une petite crâneuse,Picouly longtemps je me suis couche p1 rencontrée à la librairie. La caissière était fascinée de la voir acheter un livre de Marcel Proust. Pour moi, ce fut défi. Elle était une petite cliente privilégiée. Je me dis que lire de la littérature épatait les adultes.  Alors Proust, ça ne devait pas être mal." En lisant, le futur auteur découvre une liberté. "Proust m'a donné la liberté d'écrire, fondamentale à l'adolescence. C'est une période pendant laquelle on est presque contraint de rédiger selon des schémas imposés et de rejoindre une certaine culture.  Alors, on ne peut pas écrire comme lui, c'est impossible mais on comprend que si on veut faire des phrases longues ou courtes, c'est possible. On découvre ensuite que cette liberté chez Marcel Proust est aussi économique: il était rentier et n'a jamais travaillé. Il ne s'est même jamais posé la question et n'a jamais eu de contrainte." Pourtant, Daniel Picouly le reconnait: "Je me suis dit, si tu écris, il faut un métier à côté car on ne sait jamais ce qui peut se passer." Avant de vivre de sa plume, Daniel Picouly a été professeur. "Tout cela parait marginal et indépendant de Proust, pourtant, c'est lui qui me l'a appris. Quelqu'un qui vous donne la liberté, il n'y a rien de mieux".

"Etre pédagogue, c'est fabriquer des chemins pour aller vers l'autre"

Dans son roman, Daniel Picouly évoque son rapport aux livres, à la bibliothèque de l'école, un lieu "magique": "On y trouvait toutes les Bibliothèque verte. Nous avions une séance par semaine. Il y avait l'ouvrage qu'on voulait mais on craignait que celui devant vous ne le prenne avant. Cela créait une vraie tension. Il m'est arrivé que je me trouve à prendre des livres qui restaient  et de découvrir des choses formidables. Avec le temps, en relisant certains ouvrages, vingt ans plus tard, il nous arrive de ne plus les aimer."  Histoire de contexte, de sensibilité, de société où tout est plus rapide. Il nous souligne alors la difficulté de partager avec des plus jeunes, des oeuvres qu'on a adorées et qui ne correspondent pas forcément aux attentes et goûts actuels. 

Enfant, Daniel Picouly reconnait avoir été " un cancre" ce qui lui a donné des clefs lorsqu'il est devenu professeur. "Pour moi, être pédagogue, c'est être en sympathie avec le cancre, avec celui qui ne comprend pas a priori. C'est savoir fabriquer des chemins pour aller vers l'autre. Cela passe souvent par l'affectif, l'émotion. J'ai appris cela avec mes frères et soeurs. C'est une forme d'intuition. Il faut être observateur, disponible, donner l'envie. J'ai eu la chance de travailler dans des classes techniques et personnellement, je me sentais utile."

Et d'ajouter: "Vous savez, l'objet livre revêt de multiples formes et la lecture, ce ne sont pas que les romans. Je me suis nourri de choses très différentes pour écrire. J'ai lu beaucoup d'illustrés, de  magazines féminins interdits à mes soeurs. Daniel picouli astrid di crollalanza 18 copieC'était Nous Deux où l'on trouvait des histoires d'amour. On y apprend une chose qu'on n'imagine pas: un premier schéma narratif. Toutes les histoires se ressemblent. On y trouve un jeune homme beau et riche avec une jeune fille belle et pauvre. A la fin de l'histoire, ils se marient. Un conte. Il y a le prince, la princesse, le dragon et les obstacles et oppositions à surmonter pour obtenir ce qu'on ne peut avoir. Le même schéma peut s'appliquer à de nombreuses histoires : un politique qui veut le pouvoir, un autre l'argent... Il traverse la plupart des romans."

Le manque peut aussi être source d'écriture. "Tout comme la mémoire, confie Daniel Picouly. Faire revivre mes parents dans mes livres, eux qui sont partis très tôt sans me voir écrivain, c'est magique. Je n'ai pas pu les gâter de leur vivant. J'aurais acheté une DS 23 électronique injection intérieur cuir noir à mon père et offert le carnaval de Nice à ma mère. C'était son rêve. Je n'ai pas pu. Mais écrire avec des manques ce n'est pas mal. Cela  ne rend pas triste. On vit quelque chose intensément."

Et si on redessinait le monde ?

C'est la question posée dans ces ouvrages destinés aux enfants et publiés aux éditions Rue du Monde dans lequel Daniel Picouly a posé son écriture poétique sur des illustrations de Nathalie Novi. Un projet qui a mis l'enfance sur les cartes des pays du monde, au coeur de l'actualité, de la guerre, des migrations. "La question est posée aux plus jeunes, confie Daniel Picouly. Comment vivent-ils ce monde actuel ? Et s'ils les redessinaient ? Les enseignants se sont emparés de l'ouvrage pour travailler avec leurs élèves et nous ont envoyé des  témoignages bouleversants qui pourraient faire un livre à eux seuls". 

Cette liberté en écriture et la diversité des thèmes, Daniel Picouly la retrouvera dans son prochain ouvrage qui sortira en janvier prochain. Un "roman singulier sur le vin et le rapport qu'on peut avoir avec lui, même si je ne bois pas. Les gens ne disent pas comment ils le gèrent et pourtant on est tous amenés à le faire."

Enfin, quand on lui parle télévision, Daniel Picouly avoue avoir proposé plusieurs émissions littéraires, un peu sur le modèle de "Café Picouly". "J'y travaille. L'idée est un espace où se croisent des créateurs, des personnalités de tous horizons qui débattent. Comme Lilian Thuram qui rend hommage à une cantatrice ou à James Bond puisqu'il a imité son geste. L'objectif, c'est de trouver des angles d'entrée différents et de créer des passerelles entre les invités."

Marie-Hélène Abrond

Photo Astrid di Crollalanza

Publié le 23 juin 2021

 

 

 

 

 

 

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