Marek Halter:

"Le prophète, un cri !"

C'est un sage, un homme de l'écrit et des écrits que CulturActu a croisé au Festival "Le Livre à Metz"avant de l'interviewer en toute simplicité chez lui, à Paris. Rencontrer Marek Halter, c'est ouvrir un livre d'Histoire, son histoire personnelle, ses actions en faveur de la paix croisées de son oeuvre littéraire très riche et traduite en plus de vingt langues. C'est aussi réfléchir avec lui, au sens du monde qui avance, se questionner sur notre société actuelle pour évoquer l'avenir. En publiant "Un monde sans prophètes" chez Hugo Doc, Marek Halter nous interpelle. Voici le premier chapitre d'une interview en deux épisodes, riche en découvertes et en humanité.

"Où sont passés ces hommes qui, à travers les siècles interpellaient les puissants, tous les puissants2021 doc alerte unmondesansprophetes couv - y compris Dieu - au nom de la liberté, de la solidarité et de la justice ?" questionne Marek Halter en exergue de son livre.  Pour lui, nous vivons dans un monde sans prophètes.

Mais au fond, qu'est-ce qu'un prophète ? Un prédicteur d'avenir comme pourrait le laisser supposer la définition du dictionnaire ?

C'est un cri qui agit dans le présent, ni oracle ou voyant mais un lanceur d'alerte. Si l'on se réfère à la racine du mot, le "prophète" vient de l'hébreu "nabi" et de l'akkadien, "nabû", qui signifient "crier". J'aime me référer au film de Franck Capra, "Mr Smith au Sénat", qui montre un type gentil élu par des gosses. Il prend la parole et tout le monde s'endort. Soudain, il s'arrête et pousse un cri. Tous se réveillent. Il leur dit "Je voulais seulement voir vos visages." Le cri est fait pour ça.

Il y a deux jours, j'ai perdu la voix. Un couple de personnes de couleur, dans le bus, critiquait la France en l'insultant. Bien sûr, comme dans la thèse de Hegel (thèse, antithèse, synthèse), une autre personne se mit à crier: "Si la France ne vous plait pas, vous pouvez rentrer chez vous". Tout le monde a commencé à s'invectiver. Je me suis levé et ai crié tellement fort, "Respectez-vous !" que tout le monde s'est tu. Avant de partir, les gens m'ont applaudi. Au fond, c'est simple d'être prophète : crier au nom de la justice quelque chose qui vient de l'esprit avec des idées sur lesquelles tout le monde pourrait être d'accord d'une certaine manière.

Dans votre ouvrage, vous parlez de la Bible et évoquez le Juge Samuel...

Je raconte la naissance de la notion de prophète parce qu'il est devenu, au fil des siècles, une fonction. Il existe deux démocraties: la démocratie athénienne qui s'adresse à un petit nombre de personnes ayant fait les mêmes études, parlant le même langage. Ils se retrouvaient sur l'Agora, la place publique pour discuter des problèmes et voter. C'était le début d'une démocratie populaire mais sans l'ensemble du peuple. Pour la première fois dans l'Histoire, malgré tout, on mettait au vote une décision collective. Une démocratie qui s'est approfondie dans la République de Platon. Et nous avons la démocratie biblique qui s'adresse à tout le monde. Quand Moïse, il y a 3500 ans, arrive au confins du pays de Canaan avec une nouvelle génération (celle qui avait été libérée d'Egypte avait disparu après 40 ans dans le désert), il meurt sur Mont Nebo et passe le flambeau à Josué pour conquérir le pays  et le partager entre les 12 tribus. A l'époque, on est dans un monde de type autogestionnaire. Ainsi, chaque tribu avait son assemblée de sages qui décidait. Quand les tribus rencontraient des problèmes entre elles, on allait voir le juge qui donnait des solutions. 

En 1030 avant JC, un responsable de tribu vient voir l'un de ses juges, Samuel, en lui disant "Nous voulons un roi"... car tous les peuples autour en avaient un. On passe alors du stade tribal à un niveau étatique. Samuel était surpris car les tribus avaient bien vécu ainsi pendant 175 ans. Il demanda l'avis à Dieu qui lui dit de respecter ce que voulait le peuple.  Et leur donna le premier roi, Saül. J'aime rappeler que sur la façade de Notre-Dame de Paris, il y a les 28 rois de Juda et d'Israël, le premier à gauche étant Saül. Pendant la Révolution française, ils furent assimilés aux rois de France et les révolutionnaires ont coupé la tête aux statues avant de les emmener au Père Lachaise. Ils ont ensuite compris leur erreur. 

La démocratie biblique est donc composée d'un roi, d'une assemblée de sages, puis un juge un peu à l'image du juge suprême en Amérique qui peut annuler la décision du dirigeant. Samuel crée une école de prophètes de ceux qui allaient crier au nom de la majorité.

Un prophète n'est pas seulement un homme qui crie et revendique. Certains parlent de don.  Max Weber, le sociologue, évoque une force charismatique. Un exemple simple: allumez la télévision. Vous entendez une personne qui vous semble intelligente et intéressante à écouter. Mais le lendemain, vous la croisez dans la rue sans la reconnaître. Et puis, un jour, vous regardez une femme ou un homme et, de son visage, émane quelque chose. Il remplit l'écran et vous le reconnaîtrez toujours: des personnalités comme Jean Jaurès, Nelson Mandela ou Martin Luther King.Non violence 1160132 1920 Il y avait d'autres révérends que lui mais il avait une aura, ce rayonnement que les autres n'avaient pas. En parlant d'actualité, les gilets jaunes n'ont pas eu la chance d'avoir un Martin Luther King ou un Abbé Pierre à leur tête. Tout le monde reconnaissait l'Abbé Pierre avec son béret, sa pélerine, son bâton. Le prophète se fabrique un personnage. Jésus partait avec son bâton, cassait les étals des marchands. Il prônait l'amour mais lorsqu'il fallait employer la force, il le faisait.

Lorsqu'une personne a fait ses preuves par son intelligence, son écriture, il a cette force charismatique et est respecté par le pouvoir qu’il critique. A ce moment, se crée un dialogue sans connivence mais un dialogue. Comme Alexandre le Grand avait Aristote, Napoléon avait face à lui Chateaubriand qui le critiquait constamment. Et lorsque Jean-Paul Sartre, à la fin de sa vie, vendait des journaux maoïstes dans la rue et qu'un conseiller dit à De Gaulle, qu'il fallait interdire, il répondit « On n’interdit pas Voltaire ».

Quels termes peuvent qualifier le prophète ?

Il est un  inspirateur qui rappelle à l’ordre, réveille le peuple qui se reconnait en lui car il montre le courage que le peuple n’a pas. Il va au devant des canons. La plupart des prophètes ont été assassinés : Jaurès, Zola, Isaïe, même, qui a été scié dans l’arbre dans lequel il s'était caché. Etre un prophète, ce ne sont pas des vacances ! On reste dans l’Histoire. C’est une vie de combat d’idées avec un principe simple : "La justice est plus importante que Dieu". Un exemple dans la Bible. Lorsque Dieu a signé le pacte avec Abraham, il lui annonce la destruction de Sodome et Gomorrhe en raison de la « méchanceté et de l’orgueil de ses habitants ». Abraham est bouleversé et interroge: « S’il y avait quelques justes parmi eux, loin de Toi de tuer les justes avec les méchants ». Dieu lui répondit alors: « Tu as bien fait de me rappeler à l'ordre." Au bout du compte, il y a une négociation: il en garde 10. C’est d'ailleurs pour cette raison que chez les Juifs, on ne peut faire la prière que s’il y a dix personnes au minimum. Cette discussion entre Abraham et Dieu a suscité un débat qui a traversé des siècles pour savoir si la notion de justice précédait la naissance de Dieu. En vérité, Dieu se réfère à la même notion de justice que l’homme. Il demande à l’homme d’être juste et l’homme peut interpeller Dieu lorsque quelque chose est injuste dans ce monde. C’est  passionnant !

Le prophète montre-t-il la voie ?

Il est exemplaire. Tous, même ceux qu’il "énerve" sont obligés de reconnaître son courage et ses valeurs. Il ne dit pas "Soyez comme moi" mais des parents peuvent dire aux enfants : "Regarde ce monsieur là-bas, on peut apprendre quelque chose de lui."

Retrouvez la suite de notre entretien vendredi !

Marie-Hélène Abrond

Publié le 4 juillet 2021

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