Mariette Navarro: Ultramarins,
le roman de l'été
Nous avons rencontré Mariette Navarro au Festival Le Livre à Metz. Ultramarins, son ouvrage publié aux Editions Quidam était déjà un roman à succès de librairie au moment où elle reçut le Prix Frontières Léonora Miano. Un livre qui pourrait bien être le roman de l'été à emporter sur la plage !
Car tous les ingrédients sont là. Une singularité de contexte: une femme commandant un cargo et son équipage de marins mais aussi un voyage à travers l'océan et un mystère palpitant qui plane au moment où elle autorise les hommes à descendre du navire pour une baignade improvisée. Sans nous dévoiler toute l'histoire, Mariette Navarro nous parle de son héroïne, de ses inspirations d'écriture et de son métier d'auteur. Une interview que vous pouvez retrouver en podcast sous ce lien.
En parlant de votre héroïne, vous écrivez "Elle appartient à l'eau, elle appartient à la mer". Et vous ne lui donnez pas de prénom. Pourquoi ?
C'est souvent le cas même dans mes pièces de théâtre où les personnages n'en ont pas. Donner un prénom fait basculer le roman dans une autre dimension. Cela crée une attente beaucoup plus forte, psychologique. Un prénom induit un âge, une sociologie, une nationalité, beaucoup de choses. Si j'avais donné un prénom à cette commandante, je crois que cela m'aurait obligé à écrire un roman un peu plus classique dans sa forme ou de développer la notion de personnages et lui donner un côté un peu plus réaliste, une existence. J'avais envie de rester à cette marge.
Comment a débuté votre geste d'écriture ?
Il a commencé avec l'envie de décrire cette scène de baignade. J'avais envie de travailler sur le groupe des marins, ces hommes qui sautent à l'eau. Comme l'écriture s'est étalée sur plusieurs années, mon texte était axé sur cette description de baignade et de la joie presque enfantine allant jusqu'au vertige le plus absolu. Puis, il y a eu une autre étape avec le personnage de la commandante. Un peu comme une nécessité d'avoir un personnage qui les regarde plonger et qui permette de s'intégrer un peu plus parmi eux.
Parlez moi un peu de votre héroïne qui semble à la fois forte et fragile...
Je me suis beaucoup débattue avec les stérotypes de ce qu'on pourrait attendre d'un personnage féminin. Je n'avais pas envie d'en faire une pure héroïne mais pas non plus une femme victime de quoi que ce soit.
Je me suis rendue compte qu'il n'était pas évident d'être sur un fil qui ne retombe pas dans tous les schémas classiques dans lesquels on baigne y compris dans la littérature et les classiques. Je suis aussi partie du constat que, dans l'écriture théatrale, on avait peu de personnages féminins qui n'étaient pas complètement effacés derrière les hommes. Ou bien on trouvait des caricatures de femmes et pas des personnes qui soient des êtres humains en soi et pour soi. Cette femme commandant le cargo a une hypersensibilité qui la rattrape ce qui est aussi, dans mon esprit, une force. Cela lui permet d'être à l'écoute et à l'unisson de son bateau avec une sorte de pouvoir magique et une perte de repères à un moment donné. Elle perd pied sans que cela soit un effondrement mais une forme de libération.
Elle semble droite et sans faille sauf au moment où le second lui demande "On pourrait, hein, sans blague, couper les moteurs, descendre les canots et faire une petite baignade Elle accepte alors que c'est contraire aux règles de sécurité ?
Elle se surprend elle-même de lâcher. Je me suis amusée car ce qui fait basculer tout le roman n'est pas un conflit ou une violence quelconque comme on pourrait s'y attendre dans ce huis-clos avec des hommes et une femme. Mais au contraire, c'est une joie un peu potache qui s'empare d'eux et fait qu'une amitié soudaine pousse à franchir la transgression absolue d'arrêter les moteurs et d'aller se baigner. Après la baignade, j'ai fait corps avec la perte de repère du personnage. On se retrouve dans un monde un peu fantastique. La mer, depuis la mythologie, est une espace de monde parallèles possibles, de surgissement de monstres, de fantômes. Il y a une puissance imaginaire qu'on porte en nous depuis l'Antiquité.
Votre ouvrage s'ouvre sur cette citation: "Il y a les vivants, les morts, les marins". Le temps, la liberté mais aussi la mémoire sont-ils un peu la trame de votre ouvrage ?
Aristote en est l'auteur et c'est la première chose qu'on nous a dite au moment de l'embarquement sur le cargo lors de ma résidence d'écriture. Je pense que cela a ouvert l'imaginaire sur sa signification. S'agit-il d'une catégorie d'humains qui existe entre les vivants et les morts ? C'est là où l'envie d'écrire s'est logée.
Peut-on dire que le second héros de l'histoire soit le cargo ?
Disons un héros en retrait parce que finalement on n'a pas accès à ses pensées... si elles existent. Des références littéraires comme Moby Dick m'ont accompagnée même s'il n'était pas question de calquer mon histoire sur celle-ci.
En 2012, vous avez donc vécu une résidence d'écriture très originale sur un cargo qui a inspiré votre livre. Quelles images en gardez-vous ?
Ce voyage est allé à l'encontre d'un certain imaginaire, d'une forme de liberté absolue d'aller sur la mer, le pont et respirer le grand air. Un cargo est beaucoup plus contraint; c'est une machine avec trois étages de moteurs, des pistons. On a assez peu d'espace pour circuler. Le bruit, les vibrations, les odeurs de fuel sont permanentes. Et puis, il y a le mal de mer et la perte de repères. On perd son équilibre le plus élémentaire et on y trouve des échelles entre l'infiniment grand et l'infiniment petit. Cela trouble tous les sens avec une dimension de vertige. Lorsqu'on arrive au port, on a la sensation que ces bateaux sont immenses. Mais une fois au milieu de la mer, on se sent minuscules.
Quels sont vos nouveaux projets d'écriture ?
Depuis la sortie d'Ultramarins, je suis beaucoup allée sur les routes. J'ai besoin de temps pour réfléchir et de me retrouver dans ma bulle, ce qui difficile dans nos vies fractionnées. J'aimerais écrire un autre roman mais j'ai envie que ce soit le geste d'écriture qui décide. La désertion, la liberté le moment où l'on prend du recul, pour le regarder, le comprendre et sortir d'un système sont des thèmes qui m'inspirent.
Texte et photos
Marie-Hélène Abrond
Publié le 7 mai 2022
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