Serge Joncour:

"Les paysans sont les jardiniers de l'environnement"

« En temps de fléau, la joie est une brûlure qui ne se savoure pas », déclarait Serge Joncour, citant Albert Camus au moment où il reçut le Prix Femina pour son ouvrage « Nature humaine » publié chez Flammarion. A l’époque, la France était semi confinée. Son roman, criant d’actualité, nous fait redécouvrir 30 ans de ruralité à travers la vie de son héros, Alexandre, enfant de paysan qui a repris le flambeau de ses parents. Nous avons rencontré l’auteur, au Festival « Le Livre à Metz » et recueilli son avis sur l’actualité.

Alors que les citadins rêvent de vie à la campagne, prêts à déserter les villes pour un retour à l’essentiel, à l’heure où réchauffement climatique et alimentation bio sont à la Une et au moment où le nombre d’agriculteurs ne cesse de décroître, le roman de Serge Joncour a valeur de témoignage. A travers "Nature humaine", c'est un univers en mutation qui s'offre à nos yeux. L'histoire débute en pleine canicule, celle de 1976 qui fit tant de ravages et traverse les crises de 1986 entre vache folle et Tchernobyl et la tempête de 1999. Des instants clefs, comme des "balises, dont tout le monde se souvient", explique l’auteur.

Votre ouvrage permet d’évoquer plusieurs moments, en particulier le passage d’une agriculture traditionnelle à une agriculture intensive. Quel regard portez-vous sur l’évolution actuelle avec l’avènement du bio ?

A travers la crise sanitaire, les confinements, on constate une forme de prise de conscience dans une société, qui, bien que civilisée, s’est focalisée sur les produits. Les gens finissent par ne plus vraiment savoir, comment on les fabrique et d’où ils viennent, c’est-à-dire de la terre et des agriculteurs qui sont un peu les oubliés de l’Histoire. C’est pour cette raison que j’ai voulu écrire « Nature humaine », en particulier pour mettre au premier plan une famille d’agriculteurs sur les trente dernières années, où ils ont été le plus bousculés, chamboulés et dont le nombre a considérablement diminué.20210519 072130

Cette agriculture intensive a beaucoup touché la santé des agriculteurs avec l’utilisation des pesticides…

Cela a impacté leur santé, la nature, l’environnement. Il faut retrouver cette logique de la nature à proprement parler, qu’on avait évacuée. Il suffit de faire l’expérience. Je pense qu’il est positif de voir que des gens essaient de faire pousser leurs fraises ou leurs tomates sur une terrasse ou un balcon. Cela permet de se rendre compte que ce n’est pas si simple et demande une vigilance de tous les instants.

Jean Ferrat, en 1964, évoquait l’exode rural dans « La Montagne » avec « les filles qui veulent aller au bal » et ceux « qui rentrent dans leur HLM manger du poulet aux hormones »… Que pensez-vous de cette volonté brutale d’un exode citadin vers la ruralité en lien avec la pandémie ?

Pour parler de l'exode rural, il faut dire que s’il y a encore moins d’agriculteurs qu’aujourd’hui, il n’y en aura bientôt plus. Cela m’affole. On porte toujours un regard critique sur eux. Disons qu'on manque de bienveillance à leur égard alors qu’on dépend d’eux de façon vitale. 

Quant aux citadins rejoignant la ruralité, Jean Viard, le sociologue, a expliqué que, malgré tout, 60% des Français ont un jardin en dehors de chez eux ce qui signifie qu’ils ne vivent pas, à proprement parler, en appartement. Les confinements actuels permettent de réaliser qu’avoir un bout de terre, c’est important.  

Ce bout de terre, c’est une garantie de liberté, d’autonomie. On avait eu tendance à l’oublier. Pendant le confinement, ceux qui en avaient un espace de terre étaient à peu près libres de leurs mouvements face à ceux qui étaient « encagés » dans leurs appartements. On assiste à une forme de réconciliation avec l’extérieur. On le voit aussi avec ce besoin d’aller au dehors, dans les gites, par exemple…. Il y a un vrai besoin de se réconcilier avec le dehors. C’est plutôt positif.20200730 112736

Bien sûr, cela pourra poser des problèmes comme le bruit du chant du coq, celui des poules du voisin ou encore les cloches de l’église. Ce sont pourtant elles qui ont toujours rythmé la vie des gens et étaient un repère, comme des phares pour la navigation. Avant, il n’y avait pas de portable pour regarder l’heure à chaque instant.  C’est tout un réapprentissage, une pédagogie de l’usage de ce dehors.

Entre 1955 et 1975, on a remembré les terres agricoles afin d'accroître les surfaces de culture, détruit les haies en particulier dans le bocage... voyez vous encore des modifications de paysages lorsque vous rejoignez votre région natale ?

Les paysans sont les jardiniers de l’environnement. Il est vrai qu'à partir du remembrement, on a éliminé les haies, les arbres au milieu des champs alors qu’ils faisaient de l’ombre. Une prise de conscience a eu lieu et des programmes sont mis en oeuvre pour refaire ce qui a été défait. Mais on constate encore ces changements de paysages en traversant la Côte d’Or, le Morvan, la Saône et Loire. La prise de conscience de reconstruction de l'écosystème est plutôt rassurant. 

Votre ouvrage est actuellement scénarisé pour le cinéma. Quels sont vos projets ?

J'ai commencé à écrire la suite de  "Nature humaine" avec le projet d'arriver en 2021 et en inventant une catastrophe écologique. Finalement, il y a une crise sanitaire. Nous n'en sommes pas encore sortis.  Pour écrire, j’aime bien avoir du recul sur les évènements. Cela me semble important.

 

Texte et photos

Marie-Hélène Abrond

Publié le 15 août 2021.

 

Ajouter un commentaire