Trois femmes, trois destins,
la richesse des lettres.
CulturActu a interviewé Cécile Berly. Historienne, spécialiste du XVIIIème siècle, elle publie "Trois femmes" aux Editions Passés Composés. Madame du Deffand, Madame Roland, Madame Vigée Le Brun sont à la une de cet ouvrage. Un livre passionnant, intemporel toujours d'actualité, montrant comment ces femmes, à la veille et en pleine tourmente de la Révolution française ont réussi à se frayer un chemin grâce à leur pensée et leurs lettres qui en sont le vibrant témoignage. Décryptage.
Point commun entre toutes ces femmes: elles étaient épistolières - comprenez des femmes qui écrivaient des lettres et entretenaient des correspondances - et ont toutes vécu dans ce siècle qu'on a qualifié des Lumières au même moment que les philosophes Rousseau, Voltaire, d'Alembert qui voulaient "éclairer les esprits" et apporter, entre autres, la liberté, l'égalité dans une société connaissant la Monarchie Absolue profondément ancrée par Louis XIV. Leurs courants de pensée inédits sous le règne de Louis XV puis de Louis XVI ébranlèrent la société et insufflèrent le vent de la Révolution de 1789.
Cette toile de fond une fois plantée, revenons à l'ouvrage de Cécile Berly qui nous présente ces trois femmes qui n'ont pas été choisies au hasard.
"Toutes sont à la fois différentes et complémentaires d'un point de vue chronologique et sociologique, explique l'auteure. Madame du Deffand était aristocrate, Madame Roland issue de la bourgeoisie et Madame Vigée Le Brun, peintre et proche de la famille royale." Différentes encore par la période durant laquelle elles ont vécu. "La première est née à la fin du XVIIème siècle et a vécu sous Louis XV et Louis XVI, la seconde sous la période de Louis XVI et la Révolution et la dernière a passé son existence presqu'autant au XIXème qu'au XVIIIème siècle."
Pour l'auteure, ces trois destins féminins étaient "une façon d'étudier ce qu'est l'épistolaire au XVIIIème et de montrer à quel point il a pu conditionner l'écriture féminine y compris au début du XIXème." Un choix difficile à réaliser au milieu de toutes les femmes qui ont jalonné le siècle que Cécile Berly connait bien pour avoir beaucoup travaillé sur Madame de Pompadour et Marie-Antoinette. "Les femmes qui écrivent au XVIIIème sont nombreuses, précise t-elle. La lettre est, selon moi, avec le roman, le genre littéraire majeur de l'Histoire du XVIIIème. C'est là que se construit l'intime de la façon la plus sensible."
Pourtant, on découvre dans le livre, qu'une lettre n'a pas toujours vocation à être privée au XVIIIème. "C'est vrai, explique Cécile Berly. Par exemple, la correspondance entre Madame du Deffand et Voltaire est une joute verbale qui existe à l'écrit. En public, elle a une copie de sa lettre adressée à Voltaire avec la réponse du philosophe qui est lue dans son Salon. C'est un moment d'exaltation épistolaire. La lettre correspond à des champs et des sensibilités différents et permet d'étudier un registre littéraire et une gamme de sentiments inépuisables."
Si l'on devait qualifier, en un mot, le caractère de ces trois femmes, quel adjectif pourrait-on utiliser ? "Pour Madame du Deffand, confie l'auteure, je dirais mélancolique car l'écriture est pour elle le meilleur remède. Pour Madame Roland, exaltée. Elle a une forte exubérance qui ne connait pas la mesure mais qui refuse, en même temps la violence à des fins politiques et le sang qui coule. Quant à Madame Vigée Le Brun, on pourrait dire bohême et même moderne. Des trois, c'est la plus indépendante bien que très conservatrice."
Au milieu de ces trois femmes, Madame Roland semble la plus émancipée "tout en étant attachée au contrat social passé avec son mari. L'écriture lui est vitale, souligne Cécile Berly dans son livre. L'encre et le papier sont une présence indispensable, une présence rassurante". Et ce, dès l'enfance. "Madame Roland est une enfant, peut-on dire, précoce. Elle a des références antiques et au fond c'est une égérie, une héroïne romaine." Qui finit par acquérir une conscience politique. Elle s'intéresse à tout, à l'indépendance des Etats-Unis et parcourt les routes à cheval et seule entre Paris et Lyon. Son engagement politique est tel qu'il la pousse au sacrifice. Elle refusera une fuite possible et n'échappera pas à la guillotine en 1793.
Ces trois destins de femmes différents sont avant tout hors norme et ne révèlent pas la condition féminine de l'époque. "Les rapports entre les femmes et la Révolution ont toujours été ambivalents, explique Cécile Berly. Les espoirs féminins ont été assez vite déçus. Les femmes ont certes acquis un certain nombre de droits civils mais pas dans le champ politique puisque dès l'automne 1793, leur parole fut interdite jusqu'en 1795. Elles auront interdiction, par exemple, d'être à plus de cinq réunies sur la voie publique. S'il y a eu émancipation féminine, elle n'a, en fait, concerné qu'un petit nombre de femmes. Des exceptions qui confirmaient la règle."
Songeons maintenant quelques instants à ces femmes de l'écrit, à l'époque où il fallait rester penchées sur l'écritoire, plusieurs heures par jour à penser, organiser les idées, avant de se lancer, plume à la main sur l'espace de la feuille blanche.
La lecture du livre de Cécile Berly "parlera" sans aucun doute aux femmes héroïnes du quotidien de notre siècle qu'elles s'estiment petites ou grandes et leur donnera ou redonnera peut-être, l'audace de confier à la page blanche leurs ressentis... dans un parfum de liberté.
Marie-Hélène Abrond.
Publié le 6 juillet 2020.
Photo Hannah Assouline
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