A Troyes, hommage aux Compagnons du Devoir

et du Tour de France

Ville d'art et d'Histoire, Troyes recèle de mille et un trésors souvent méconnus. Si vous passez dans la région, CulturActu.com vous invite à faire une halte pour visiter la Maison de l'Outil et de la Pensée Ouvrière. Riche en découvertes inattendues et inédites, le lieu est dirigé par Christophe Cheutin,  Compagnon du Devoir et archiviste national. Il  nous raconte l'histoire de cette maison où la mémoire et les traditions du bel ouvrage sont au rendez-vous !

Pourquoi avoir appelé ce lieu maison et non musée ?

Lorsque nous avons ouvert en 1974, il devait être la maison des compagnons. La volonté a été de créer  un espace muséal en gardant la notion de maison à laquelle les Compagnons du Devoir sont très attachés. On y trouve l'aspect visible et vivant à la fois à savoir l'outil et la pensée ouvrière. C'était aussi un hommage à Jean Mauroy et Loyse de Pleurre qui sont à l'origine de cet Hôtel de Mauroy qui fut construit en 1556.  Ils avaient créé un orphelinat puis un hospice. Le projet était d'accueillir des orphelins, leur apprendre un métier pour leur permettre d'en vivre. 20220504 115835

Dans l'expression pensée ouvrière, on entend l'esprit, le geste, le bel ouvrage...

La partie muséale des lieux est consacrée à l'outil. Quant à la pensée ouvrière, c'est la mise en lumière de notre bibliothèque, notre centre de ressources. Nous sommes la seconde bibliothèque technique de France après celle de l'Hôtel de Sens à Paris sur ces thématiques. La pensée ouvrière, c'est le geste de métier, des techniques mais aussi l'aspect vie sociale, syndicale...  On y trouve le savoir-faire et le savoir-être, des valeurs transmises par les Compagnons.

12 000 objets sont regroupés à Troyes. Qui était le Père Paul Feller qui s'est intéressé aux outils et à la pensée ouvrière ?

Paul Feller était un père jésuite de la congrégation de Lille, un passionné du monde ouvrier. Il faut savoir que les plus grandes bibliothèques de France sont au sein des collèges jésuites avec un nombre d'ouvrages impressionnant. Le Père Feller s'est attaché à faire une bibliothèque consacrée au monde ouvrier. Il s'est ensuite interrogé sur la mise en oeuvre du travail ouvrier sous tous ses aspects. Il a donc voulu passer par l'apprentissage et avec son CAP de forgeron, s'est confronté à la rudesse et aux difficultés du travail. Forgeron est le métier central nécessaire à la réalisation des outils pour les différents corps de métier. Il s'en est pris de passion. Chacun de ces ustensiles est différent, façonné pour l'homme ou la femme qui l'a utilisé. Il y a le manche, son poids en fonction de l'usage qu'on veut en donner.

Il y a 60 ans, Paul Feller avait fait une petite exposition et animé une mini conférence à Lille. A l'époque, les Compagnons, construisaient leur maison à Villeneuve d'Ascq. Paul Feller cherchait un lieu pour exposer. Après Reims, Troyes fut choisi. A l'ouverture de la maison, Paul Feller avait entre 300 et 400 outils. D'année en année, la collection s'est enrichie. Nous avons aujourd'hui 65 vitrines, regroupant 12 000 outils et nous en avons plus de 30 000 en réserve. 

On y trouve des outils de  façonnage... De quoi s'agit-il exactement ?Troyes gant 2

L'outil de façonnage, c'est l'outil main, hors mécanisation entre le 17ème et 19ème siècle. Nos collections s'arrêtent à cette période. Quatre grandes thématiques sont regroupées au sein de la maison: métiers du bois, du fer, du minéral ainsi que ceux liés à l'animal avec le cuir et le crin. Cela englobe pas mal de corps de métiers. L'outil est le prolongement de la main et la main le prolongement de l'esprit. Sans esprit, il n'y a rien. L'ouvrier a façonné le manche. On voit l'usure de la prise de main mais certains d'entre eux ont été sculptés en fonction de sa main pour éviter les blessures, avoir une meilleure stabilité. 

Au fond, chaque outil a une histoire. 329 truelles sont exposées. Pour le grand public, une truelle reste une truelle qu'on achète et qu'on jette si elle est abimée...

Elles sont toutes différentes. Une truelle de maçon ou de plâtrier n'ont pas la même matière. La première, destinée au maçon ou tailleur de pierre est en métal tandis que celle du plâtrier est en laiton car le plâtre n'adhère pas. Et puis la taille est adaptée à la personne qui l'utilise. Il faut enfin savoir qu'à l'époque, les outils étaient recyclés, réparés. Nous consacrons, par exemple, une vitrine à la lime et la râpe, utilisées dans de nombreux corps de métiers. Lorsqu'elles étaient usées, elles repartaient chez le forgeron pour être reforgées dans un autre outil. C'était le recyclage, loin de la société de consommation. C'est pourquoi, une seconde vitrine concerne l'outil né de l'outil

Vous êtes vous-même compagnon du devoir, spécialiste en menuiserie et restauration du patrimoine. Qu'est-ce qui vous a attiré dans le travail du bois ?

Enfant, j'étais passionné d'Histoire et d'archéologie. J'avais envie de retrouver ce que nos aïeux nous ont laissé et comprendre les évolutions. Mes résultats en histoire/géographie étaient bons mais le reste l'était moins et on m'a conseillé une profession manuelle. Autour de mon village natal, il y avait pas mal de forêts. J'aimais les arbres et le matériau bois. D'un arbre qui a grandi, on fait de nombreux usages. Quand j'ai effectué mon apprentissage chez les Compagnons à Strasbourg, j'étais en formation menuiserie et j'ai fait de l'agencement. Mais ce que j'aimais, c'était d'apprendre la menuiserie traditionnelle chez les Compagnons. Après mon CAP, je me suis dirigé dans ce secteur et après avoir acquis toutes les connaissances nécessaires, j'ai exercé dans des entreprises travaillant sur les monuments historiques. Je suis ainsi revenu à l'essence que je souhaitais. Effectuer les recherches pour être au plus proche de la menuiserie d'époque, sauver le maximum de bois d'origine est passionnant. Par 20220504 112934exemple, les fenêtres de chaque pièce du château d'Azay-le-Rideau sur lesquelles nous avons travaillé pendant six mois ont toutes des moulures et des volets intérieurs différents.  On a retranscrit les ouvrages selon les archives du château pour les refaire à l'identique.  C'est ce qui me plait aussi. 

La bibliothèque étant aussi un facteur dans la transmission des savoirs et savoirs-faire, que peut-on trouver à Troyes?

Elle regroupe 35 000 ouvrages, le plus ancien étant un Vitruve de 1574. On y trouve des livres thématiques mais aussi la fameuse Encyclopédie de Diderot et d'Alembert comprenant les volumes textes et volumes planches. Ils ont mis en lumière les différentes professions de l'époque avec des explications prises sur le terrain. Ils y évoquent les conditions de travail, les techniques, avec les gravures des ateliers complets mais on y trouve aussi des outils et les techniques. C'est d'une très grande richesse !

Texte et photos Marie-Hélène Abrond

Publié le 8 août 2022

 

Commentaires

  • Martin cédric
    • 1. Martin cédric Le 08/08/2022
    Très bel hommage ! Merci ☺️
    • Marie-Hélène Abrond - Bonneau
      • Marie-Hélène Abrond - BonneauLe 13/02/2023
      Avec retard, merci beaucoup pour votre commentaire !

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