Francine Szapiro: "L'art est un partage d'émotions".
Nichée au coeur du Marais à Paris, la galerie Saphir est un creuset de culture pas comme les autres. Située dans un écrin magique d'art et d'histoire, elle est à la fois un trésor artistique par la diversité des oeuvres présentées mais surtout un pont culturel entre passé et futur avec une grande ouverture sur le présent. Nous avons rencontré Francine Szapiro, sa directrice dont la volonté, avec celle de son mari, Elie, a permis, il y a 40 ans, de redonner un souffle de vie à la culture juive dans un esprit de dialogue. Entretien.
Pour mieux saisir la genèse de la création des lieux qui ont d'abord pris racine boulevard Saint- Germain, il faut la relier à l'Histoire, nouée à des destins bousculés par la Seconde Guerre mondiale. La Shoah, dans sa folie destructrice humaine avait été doublée d'une volonté d'effacement de toute trace culturelle de la communauté juive dans sa vie artistique, riche et vivante. "L'après-guerre a vu plusieurs attitudes, confie Francine Szapiro, dont la tentative d'oublier et se fondre dans la société française qui avait toujours été, selon moi, multiculturelle. Mais il y avait aussi chez des rescapés, la volonté de rechercher leurs racines, leur identité qui avait été cachée, détruite ou dispersée".
Tout débute en 1979. Francine Szapiro est journaliste, son époux, médecin et historien. "A la recherche de mes racines et de mon identité, explique-t-elle, l'idée a germé, avec mon mari d'ouvrir une galerie en lien avec une poignée de collectionneurs dont Victor Klagsbald. Notre projet était hors mode et tendance car nous voulions présenter la culture juive sous tous ses aspects: peinture, sculpture, objets de culte, de vie, manuscrits, livres. Selon moi, on ne peut comprendre l'art d'aujourd'hui si on ne connait pas l'évolution et le dialogue de l'art autrefois... sans pour autant être une galerie d'antiquités et en s'ouvrant à la création contemporaine. (Ci-contre une oeuvre de Samy Briss actuellement exposée à la galerie).
Une première qui fut un succès. Initiative remarquée par Elie Wiesel, c'est ensuite Anne Sinclair qui invite les caméras de télévision à la galerie.
Les cartes postales, porteuses de mémoire.
Parmi les éléments de leur première exposition, des cartes postales sont un symbole de vie proposée au grand public et à la communauté qui avait perdu tant de ses membres. "Avec mon mari - décédé il y a huit ans - , nous avions réuni une collection qui était la trace visuelle de la vie culturelle du judaïsme, dans différents lieux, pays du monde entier, avec des modes d'expression variés, des traditions, de la culture et de l'art . On y voyait la vie quotidienne des gens. Il y avait aussi toute une série de cartes en lien avec l'Affaire Dreyfus, les dreyfusards et antidreyfusards."
L'Ecole de Paris, un mouvement cosmopolite
Rencontrer Francine Szapiro, c'est partager des connaissances sur des mouvements de l'histoire de l'art souvent méconnus d'un public non-spécialiste. Au sous-sol de sa galerie, dont les murs sont ceux de l'enceinte de Paris construite par Philippe Auguste, elle nous raconte l'histoire du mouvement de ce qu'on a appelé "L'Ecole de Paris", en nous montrant quelques oeuvres. "Pour nous, c'était une période évidente à défendre car elle est faite de rencontres, de dialogues et d'échanges internationaux. Paris,à la fin du 19ème siècle en était le carrefour au niveau artistique et dans tous les domaines: peinture, écriture, musique. Jamais une période n'a eu cet équivalent. Elle a marqué un tournant dans la conception même de l'art."
Paris était devenue la terre d'accueil d'artistes juifs qui avaient besoin de liberté d'expression à cause de l'antisémitisme dans leur pays, ajoute Francine Szapiro. Ils n'aspiraient qu'à une chose pour donner le meilleur d'eux-mêmes: rejoindre la France, le pays des droits de l'Homme, qui avait réhabilité Dreyfus. Là, ils rencontrèrent leurs homologues français. Chacun apporta les avant-gardes artistiques de son pays, d'Allemagne, d'Europe centrale, d'Italie, des Etats Unis, du Brésil, d'Afrique du Nord... Paris était devenue la capitale cosmopolite de la création artistique avec un brassage culturel qui n'a plus d'équivalent aujourd'hui.
Ce mouvement artistique, poursuit-elle, fut fabuleux dans le domaine du figuratif, du nouveau langage abstrait qui a fait basculer l'art traditionnel vers l'art moderne, à commencer par l'impressionnisme, le cubisme. Beaucoup de juifs y ont participé, mais selon nous, ces mouvements sont le fruit d'un dialogue interculturel. C'est ce qui fait la richesse d'un pays. L'enfermement et le repli sont une aberration."
L'artiste est un éclaireur
Pour Francine Szapiro, "la vie est une perpétuelle découverte" et une galerie se doit d'être "vivante". "Nous sommes des passeurs d'émotion, explique t-elle en parlant de son métier et notre rôle est culturel sans être muséal. A Dinard, en Bretagne, nous avons un grand espace avec un côté didactique, pédagogique dans la mesure où apprendre, découvrir est un plaisir renouvelé. Nous avons envie d'entrainer les gens dans notre recherche de compréhension. Grâce à nos visiteurs aussi, on apprend nous-mêmes tous les jours. C'est un échange permanent.
A Dinard, le lieu est complémentaire à la galerie parisienne. C'est une région qui me tient à coeur et qui a attiré bcp d'artistes et d'écrivains comme Max Jacob."
Au coeur de cette galerie, vous découvrirez des peintres de l'Ecole de Paris et une exposition permanente consacrée à l'Ecole de Pont-Aven regroupant des oeuvres d'Emile Bernard, Paul-Emile Colin et Henri Rivière.
Coup de coeur pour Samy Briss, en exposition à la galerie de Paris.
Né en 1930, à Iasi en Roumanie, dans une famille de la petite bourgeoisie juive, Samy Briss souffre de privations pendant la guerre et entre en 1949 à l'Ecole des Beaux-Arts de Bucarest. Il réalise, dans les années 50, ses premières affiches et gravures. Victime de répression sous Ceaucescu, il s'installe en Israël en 1960 et fait connaissance du confondateur du mouvement Dada, Marcel Janco. Il a exposé pour la première fois à Paris dans les années 70 et vit désormais en France.
Marie-Hélène Abrond - Publié le 23 mars 2021
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