Plongeon dans l'histoire du maillot de bain avec Audrey Millet

Docteure en Histoire et chercheuse Marie Slodowska-Curie à l'université d'Oslo, Audrey Millet est spécialiste de l'habillement. Après avoir publié "Le Livre Noir de la Mode" aux Editions les Pérégrines, elle nous propose de découvrir "Les dessous du maillot de bain" qui sort aujourd'hui. Un ouvrage étonnant sur un sujet inédit à la veille de l'été ! Interview en toute liberté !

Pourquoi avoir choisi dans ce nouvel opus de nous immerger dans cette incroyable histoire du maillot de bain ?

Au début, je voulais écrire une histoire du maillot de bain qui sentait le monoï, assez différent du Livre Noir de la Mode. Je me suis demandé pour quelle raison il n'y avait pas de maillot de bain avant la fin du 19ème siècle. En tant qu'historienne, je suis revenue aux sources de l'Antiquité et ai découvert que le rapport à l'eau, au corps féminin était le socle du développement du maillot de bain.

Parler du maillot de bain c'est avant tout parler des rapports entre l'eau et les humains qui n'ont pas toujours été évidents au fil des siècles...

Remettons nous dans le contexte où les technologies actuelles n'existaient pas. Nous sommes autour du bassin méditerranéen pendant l'Antiquité, en Grèce, en Egypte, à Rome. Il y a de l'eau. On ne sait pas nager. On veut conquérir le monde. Il faut monter sur des bateaux qui partent parfois sans retour, fracassés contre les rochers. L'eau peut aussi être moribonde en stagnant et véhiculer des maladies. Mais l'eau est aussi utile pour se laver et se dénuder. Il existe tout un rapport à la médecine jusqu'au 18ème/19ème siècle laissant penser que l'eau est dangereuse pour le corps, pourrait entrer dans les pores de la peau et entraîner des maladies. Et dans les mythologies, lorsqu'une naïade entre dans l'eau, par exemple,  dans les métamorphoses d'Ovide, elle se fait  souvent violer. En revenant aux bases du rapport du corps à l'eau, je me suis retrouvée à développer des histoires de chaos, de viols, de questionnements d'éléments très sexuels, sur la fertilité, et ce, dès l'Antiquité... plutôt que de parler du bikini !

L'élément féminin semble toujours attaché à l'eau et de façon négative. On pense aux Sirènes et à Ulysse dans l'Odyssée d'Homère...

Il ne s'agit pas de la petite sirène de Disney. Les sirènes ont été punies par les dieux car elles ont refusé de donner leur virginité. Ce sont des volatiles qui ont des plumes et griffes mais qui ont gardé un visage de femme séduisant. Elles vivent sur un rocher au milieu de l'eau et chantent pour attirer et fracasser les marins sur les récifs. Il faut savoir que le rapport à la femme, l'eau et les hommes est très tendu dans le cas des sirènes et dans de nombreux autres cas dans l'Antiquité.

L'eau, selon les époques, est aussi un vecteur d'hygiène...

Les thermes romains, les aqueducs, les égoûts vont symboliser le génie romain. A Rome, en 100 av JC, vit un million d'habitants. Le rapport à l'assainissement est très développé. Les thermes sont accessibles aux classes modestes... mais il s'agit surtout d'un lieu politique, de sociabilité un peu comme dans les Salons du 18ème siècle. Et il existe des villas secondaires, en bord de mer, où vont réfléchir des personnalités comme Marc Antoine ou Cicéron. On s'éloigne du brouhaha de la ville pour méditer et prendre du recul. La méditation relève du littoral. Mais on ne veut pas aller à Naples où l'eau est pleine de miasmes.

Concernant le maillot de bain, nécessaire pour recouvrir le corps des femmes, peut-on dire qu'il s'agit d'un problème purement féminin ?

Le maillot de bain est surtout un problème masculin à l'égard du corps féminin. L'homme peut se baigner avec d'autres hommes nus ou avec une chemise et un pantalon. Les femmes ne vont jamais se baigner nues.

Quelles matières textiles utilisait-on pour les maillots afin de ne pas rendre le corps féminin impudique ?

On a les grandes chemises type lin ressemblant à une robe de nuit. Fin 19ème, on trouve un haut, manches longues avec un col bateau, rayé bleu et blanc, classique et un pantalon bleu marine/gris et en laine. Je vous laisse imaginer entrer dans l'eau avec un vêtement en laine avec le poids que cela représente. C'est pourquoi, les femmes ont souvent, un guide à droite et à gauche pour être accompagnées et immergées une dizaine de fois. Car selon la médecine, les femmes sont un peu hystériques et cela les calme. La femme est considérée, depuis les théories d'Aristote et d'Hippocrate, comme faible biologiquement, hystérique et donc inférieure à l'homme.

Peut-on dire qu'à chaque époque correspond un maillot de bain, libération ou enfermement des corps ?

Dès 1920, on accepte que la norme de couleur de peau ne soit pas la plus blanche possible. On peut donc se dorer au soleil. On ouvre les portes à la réduction du maillot. Peu à peu, apparaissent des maillots de bain, une pièce, bikini, trikini, monokini, seins nus. Pendant les Trente Glorieuses, on assiste à l'essor du sein nu. Lorsque les sociétés vont bien économiquement, politiquement et socialement, les corps se découvrent. Sinon, ils se recouvrent.  Depuis le 19ème, on a assisté à un dévoilement du corps. La femme peut aller en bikini sur la plage sans être traitée de perfide ou séductrice. Il y a une forme de liberté et d'égalité entre hommes et femmes, sans séparation des sexes lors de la baignade. Le maillot de bain, c'est la conquête d'une véritable égalité dans le sens où son rôle est de recouvrir les organes sexuels  ou à connotation sexuelle. C'est le cas pour les deux. Donc, c'est le vêtement le plus égalitaire sur la planète. 

Comment voyez-vous l'avenir du maillot de bain ?

C'est un vêtement polluant qu'on recycle difficilement car fabriqué à partir de  fibres plastiques et  de pétrole. Des progrès devront être réalisés avec des matières plus écologiques. Et puis, j'ose espérer que cette égalité que les femmes ont trouvée sur la plage se poursuivra et qu'elles la prendont à pleins bras. On voit diminuer beaucoup de droits que les femmes ont gagné pendant un siècle. On peut les leur reprendre. C'est important pour les futures générations. Elles doivent se réapproprier leurs corps,  se prendre en main choisir leur maillot en réalisant qu'il signifie beaucoup de combats menés par des femmes à travers le monde qui se sont  battues pour montrer leurs corps. Le maillot de bain, au fond, symbolise le combat de toutes les femmes pour vivre de façon égalitaire avec les hommes.

Marie-Hélène Abrond

Publié le 3 mars 2022

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